14 Octobre 2014

Sursaturation en vapeur d'eau

Une nouvelle analyse des données envoyées par le spectromètre SPICAM, a révélé pour la première fois que l'atmosphère de la planète est sursaturée en vapeur d'eau.

Transport de la vapeur d'eau dans l'atmosphère martienne

Le cycle de l'eau dans l'atmosphère de Mars peut être décrit comme suit :

    • La chaleur du Soleil arrivant sur la glace (par exemple, les Calottes Polaires) fait que les molécules d'eau (H2O) se subliment et sont libérées dans l'atmosphère.
    • Ces molécules de vapeur d'eau sont transportées par les vents à de plus hautes altitudes où, en présence d'aérosols, elles se condensent en nuages. Quand il y a trop peu d'aérosols, la condensation est ralentie, laissant des quantités substantielles de vapeur d'eau, donc l'atmosphère est sursaturée.
    • La vapeur d'eau sursaturée est transporté haut dans l'atmosphère où elle est affectée par la photodissociation ; les radiations solaires cassent les molécules de vapeur d'eau en ses constituants, les atomes d'hydrogène et d'oxygène, qui peuvent ensuite s'échapper dans l'espace.

    Crédits ESA/AOES Medialab

    Cette découverte surprenante a des implications majeures pour la compréhension du cycle de l'eau martien ainsi que pour l'évolution de son atmosphère.

    Bien que plusieurs satellites aient visité Mars depuis les années 70, très peu de mesures directes de la structure verticale de l'atmosphère de la planète ont été réalisées. Dans l'ensemble, la plupart des instruments qui ont opéré à ce jour en orbite ont regardé essentiellement la surface, ne permettant de contraindre que la distribution horizontale de l'eau dans l'atmosphère, laissant la question du profil vertical de la vapeur d'eau dans l'atmosphère quasi inexplorée.

    Ce manque de mesures directes a eu pour conséquence que la représentation de la distribution verticale de la vapeur d'eau, élément clé dans l'étude du cycle hydrologique de Mars, a généralement été fondée sur les prédictions théoriques des modèles de climat. Cette lacune dans les données a maintenant été comblée par le spectromètre ultraviolet et infrarouge SPICAM (Spectroscopy for Investigation of Characteristics of the Atmosphere of Mars) de Mars Express.

    L'instrument peut être utilisé en mode occultation quand il scrute la lumière du Soleil qui traverse l'atmosphère de la planète juste avant son levé ou son coucher. Les séquences de mesures enregistrées peuvent ensuite être analysées afin d'établir des profils verticaux de concentration pour différents constituants de l'atmosphère, y compris pour la vapeur d'eau.

    De nouveaux résultats surprenants, fondés sur les données de SPICAM et obtenus au cours du printemps et de l'été dans l'hémisphère nord, indiquent que la distribution verticale de vapeur d'eau dans l'atmosphère martienne n'est pas compatible avec ce que les modèles de climat prévoient.

    Une étude dirigée par Luca Maltagliati (boursier post-doctorant du CNES) du Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS) à Guyancourt, France (où a été développé l'instrument SPICAM), est publiée dans le journal Science de cette semaine. Cet article décrit les observations de SPICAM dans la gamme infrarouge qui fournissent pour la première fois la preuve de l'existence de vapeur d'eau en état de sursaturation sur Mars.

    La Sursaturation

    L'atmosphère de Mars contient environ 10.000 fois moins de vapeur d'eau que celle de la Terre. Si elle se condensait à la surface, l'eau présente dans l'atmosphère martienne ne formerait qu'une couche de 10 micromètres (1/100ème de mm) d'épaisseur sur toute la planète. Néanmoins, la vapeur d'eau est un gaz trace marqué par une très forte dynamique, s'avérant l'un des constituants atmosphériques de Mars les plus variables (localement, sa concentration peut varier d'un facteur >100 au cours de l'année).

    Dans des conditions terrestres standard, la vapeur d'eau tend à se condenser autour de petites poussières en suspension, ou de particules d'aérosols ou de sels, quand la température descend au-dessous du "point de condensation". L'atmosphère est ainsi dite "saturée", car elle ne peut contenir plus d'humidité à cette température et pression. Toute la quantité de vapeur d'eau excédant le "point de condensation" se condense pour former des gouttelettes ou des cristaux de glace qui viendront plus tard précipiter.

    Cependant, quand les noyaux de condensation (que l'on suppose être des poussières minérales en suspension sur Mars) sont trop rares, la condensation est fortement ralentie et ne permet pas à la vapeur d'eau en excès de condenser. Ce phénomène crée alors une sursaturation en eau qui reste sous forme gazeuse en déséquilibre de phases.

    Jusqu'à présent, il était supposé a priori qu'une telle sursaturation ne pouvait exister au sein de l'atmosphère martienne, par ailleurs très froide (-100°C) : toute vapeur d'eau au-delà du niveau de saturation était supposée se transformer immédiatement sous forme de glace. Car sur Mars, les conditions de pression/température n'autorisent que deux états pour l'eau : solide et/ou gazeux.

    Néanmoins, les données de SPICAM ont révélé que la sursaturation de la vapeur d'eau est un phénomène fréquent sur Mars. Des niveaux de sursaturation très élevés y ont été trouvés, jusqu'à 10 fois supérieurs à ceux rencontrés sur Terre. De fait, il y a beaucoup plus de vapeur d'eau dans la partie supérieure de l'atmosphère martienne que ce que quiconque avait imaginé jusqu'alors. Les modèles de climat ont semble-t'il grandement sous-estimé la concentration en vapeur d'eau aux altitudes supérieures à 15 km, niveau au delà duquel la vapeur d'eau rencontre son point de condensation théorique, avec 10 à 100 fois plus d'eau que ce qui était initialement prévu.

    "La distribution verticale de vapeur d'eau est un facteur clé dans l'étude du cycle hydrologique de Mars, et un vieux paradigme qui est que l'eau est principalement contrôlé par la physique de la saturation doit maintenant être entièrement révisé," a dit Luca Maltagliati. "Notre découverte a des implications majeures pour la compréhension du climat de la planète ainsi que pour le transport de l'eau au sens large. En effet, cette capacité de la vapeur d'eau à subsister en état de forte sursaturation lui permet de peupler des couches atmosphériques dominées par des mouvements Nord-Sud. Grâce à cela, l'hémisphère sud est alimenté en eau beaucoup plus efficacement que ne le prédisent les modèles actuellement. Ce mécanisme a sans doute perduré et perdurera encore sur des milliers d'années."

    "Les données de SPICAM montrent qu'une quantité bien plus grande de vapeur d'eau peut être transportée assez haut dans l'atmosphère pour y être détruite par photodissociation," ajoute Franck Montmessin, responsable scientifique de SPICAM et co-auteur de l'article.

    "Le rayonnement solaire casse les molécules d'eau et produit des atomes d'oxygène et d'hydrogène suffisamment légers pour ensuite s'échapper vers l'espace. Ceci a des implications fondamentales pour la problématique de l'eau martienne, dont on sait qu'une fraction notable s'échappe continuellement vers l'espace (à travers l'hydrogène et l'oxygène) depuis des milliards d'années, expliquant en partie la faible concentration d'eau actuelle."